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EISENSTEIN, célèbre réalisateur russe, par Dominique Fernandez
Editions Grasset

Le Cuirassé Potemkine est reconnu comme un des plus grands classiques du cinéma mondial. Nous avons, tous, vu d’autres films d’Eisenstein : Grève, La ligne générale, Alexandre Nevski, Ivan le Terible, Octobre. Nous savons qu’Eisenstein a créé le cinéma révolutionnaire : en 1936, le Programme d’enseignement indique, parmi les tâches faisant partie du ’ travail sur soi-même’ proposées aux élèves de première année, la ’bio-ergographie des personnalités créatrices de premier plan’. Exemples cités : Lénine, Marx, Engels - Edison, Ford - Flaubert, Zola, Balzac, Maupassant, Gogol, Tolstoï.

Dominique Fernandez est romancier, essayiste, traducteur et critique littéraire au Nouvel Observateur. Il a obtenu le Prix Médicis pour Porporino ou les mystères de Naples, en 1974, et le Prix Goncourt, en 1982, pour Dans la main de l’ange. Derniers livres parus : Tribunal d’honneur (1996), Rhapsodie roumaine (1998), Les Douze muses d’Alexandre Dumas (1999), Nicolas (2000), Menton (2001). Ce livre a été publié pour la première fois en 1975 aux éditions Grasset sous le titre : ’Eisenstein, l’arbre jusqu’aux racines II.’

Dominique Fernandez
Eisenstein (nouvelle édition)
Biographie

Dominique Fernandez a obtenu le Prix Médicis pour Porporino ou les mystères de Naples, en 1974, et le Prix Goncourt, en 1982, pour Dans la main de l’ange. Parmi les derniers livres parus, mentionnons : Tribunal d’honneur (1996), Rhapsodie roumaine (1998), Nicolas (2000), La course à l’abîme (2003).

Le Cuirassé Potemkine est reconnu comme un des plus grands classiques du cinéma mondial. Nous avons, tous, vu d’autres films d’Eisenstein : Grève, La ligne générale, Alexandre Nevski, Ivan le Terible, Octobre. Nous savons qu’Eisenstein a créé le cinéma révolutionnaire mais nous n’avons qu’une connaissance superficielle du créateur lui-même. Dominique Fernandez n’a pas écrit une biographie ordinaire. Il s’est attaché à découvrir les liens profonds qui existent entre la vie et l’œuvre du grand cinéaste. " L’œuvre d’Eisenstein, dit-il, est une autobiographie ininterrompue mais sous la forme d’une transposition grandiose qui est le contraire de l’aveu ". C’est à partir des films qu’il a reconstitué ce qui pouvait bien être arrivé à leur auteur : la psychologie de la création est étudiée à travers les oeuvres, grâce aux œuvres, selon une méthode dont tout le monde sait qu’elle a renouvelé la critique littéraire et la critique d’art, mais qui n’avait jamais été appliquée au cinéma.

Dominique Fernandez se livre à une analyse formelle très poussée des six films d’Eisenstein. Il souligne notamment, ce qu’exprime le " montage " pour le cinéaste. A travers cette étude, il révèle les obsessions profondes Eisenstein : enfant mis en pièces par l’éclatement de la cellule familiale, citoyen soviétique aux prises avec la tentation homosexuelle, personnage pathétique qui n’a jamais réussi à vivre et qui, pendant de longues années, n’arrivait ni à vivre ni à créer. Cet ouvrage - à nouveau disponible, dans une version mise à jour par l’auteur - passionnera tous ceux qui aiment les films d’Eisenstein mais il se lit aussi comme un roman, le plus tragique qui soit.

" Une autre section très importante : l’organisation du processus de la création et l’examen de biographies de créateurs " : voilà le conseil donné par Eisenstein à ses élèves, dans son cours du 25 septembre 1933, publié sous le titre de L’art de la mise en scène. Exemple cité : Joyce, et les dix ans employés pour écrire Ulysse. En 1936, le Programme d’enseignement de la théorie et de la technique de la réalisation indique, parmi les tâches faisant partie du " travail sur soi-même " proposées aux élèves de première année, l’étude du " processus de création " et de la " bio-ergographie des personnalités créatrices de premier plan ". Exemples cités : Lénine, Marx, Engels - Edison, Ford - Flaubert, Zola, Balzac, Maupassant, Gogol, Tolstoï. (Eisenstein a déclaré ailleurs que s’il y avait un film américain dont il aurait voulu être l’auteur, c’était la Jeunesse de Lincoln, mis en scène par John Ford.) Celui dont la biographie intéressait le plus Eisenstein était Pouchkine. Son premier film en couleurs, s’il avait eu le temps de le faire, aurait été consacré au grand poète russe. Il exposa son dessein dans une lettre à Youri Tynianov, en 1943. Romancier et théoricien de la littérature, Tynianov travaillait à un roman historique sur Pouchkine. Eisenstein lui aussi, à la fin de sa vie, voulait écrire un livre sur Pouchkine. Le 9 février 1948, deux jours avant sa mort, il s’ouvrit de ce projet de livre au cours d’un entretien avec Ilya Veissfeld, professeur de cinédramaturgie à Moscou. " Quel est le sujet de toutes les œuvres de Pouchkine ? Simplifions le schéma : un barbon barre le chemin du bonheur. Deux jeunes s’aiment et un vieillard est une entrave à leur amour. Rappelez-vous Eugène Onéguine, les Tziganes, Boris Godounov, la Fille du capitaine... Dans la Dame de pique, c’est la vieille qui recèle le secret. Dans le Chevalier avare il n’y a pas d’amour, mais il y a le vieillard qui détient les richesses, qui les garde jalousement et ne les donne à personne... Comment se fait-il que nul n’en ait jamais encore parlé ? Et le plus curieux, c’est que cette apparente monotonie du sujet n’empêchait nullement Pouchkine de se transporter dans n’importe quel pays, dans n’importe quelle époque, de créer dans les genres les plus divers. Un foisonnement génial de pensées, de destins, de caractères - et une seule et unique situation - thème qui traverse toute l’œuvre de Pouchkine : un vieillard qui empêche d’aimer, l’amour non réalisé d’un jeune, le rêve de l’amour irréalisé. D’où cela vient-il ? Comme vous le savez, alors qu’il était encore au lycée, Pouchkine s’éprit de la femme de Karamzine. Il lui écrivit, lui demanda un rendez-vous. Elle montra la lettre à son mari et c’est tous les deux, ensemble, qu’ils sont allés à ce rendez-vous que Pouchkine réclamait. Pour lui, ce fut un traumatisme profond, dont il ne put se libérer tout au long de sa vie. Natalia Gontcharova, sa femme... Il lui pardonnait tout. Rappelez-vous l’épisode fameux de la nuit de noces : au matin l’empereur passe sous les fenêtres de Pouchkine et, de son mouchoir, fait signe à Natalia... Et puis tout le reste, tout ce que l’on sait par des dizaines de témoignages. L’absence chez Natalia de tout sentiment véritable, les souffrances de Pouchkine... Il endurait tout. Pourquoi ? Natalia Gontcharova rappelait à Pouchkine son premier amour, la femme de Karamzine. Et notez dans les deux cas, c’est un vieil homme qui faisait obstacle à la réalisation de l’amour. Ce traumatisme, le plus grave de la vie de Pouchkine, était probablement inconscient ; mais il ne pouvait pas ne pas traverser toute son œuvre, il devait en rester le thème unique - varié à l’infini. Ce thème pouvait se camoufler très profondément, prendre la forme mythologique, ou la forme du roman, du drame historique. Mais il ne disparaissait jamais. Il est présent dans toutes les œuvres tant soit peu importantes de Pouchkine. " Mettre en parallèle la vie et l’œuvre, découvrir un traumatisme inconscient qui éclaire, et l’une et l’autre : voilà, posément affirmés, les principes mêmes de la psychobiographie. Les mots " traumatisme " et " inconscient " sortent de la bouche d’Eisenstein ! Ces lignes nous invitent à voir sous un jour tout nouveau l’auteur de films qui passent pour être absolument (et même polémiquement) étrangers à tout ce que la culture occidentale bourgeoise respecte sous le nom de " psychologie ". Il y a deux images courantes d’Eisenstein. Pour les uns, c’est le chroniqueur et le poète de la Révolution russe, celui qui a su donner une voix à l’élan anonyme de millions d’hommes, incarner le nouvel idéal collectiviste et fixer en traits d’épopée la plus grande aventure politique de tous les temps. Pour les autres, c’est un théoricien du cinéma, attaché surtout à fonder une science du cadrage, du montage et de la mise en scène, et pour qui le sujet le plus brûlant (par exemple la mutinerie du cuirassé Potemkine) se présentait comme une suite de problèmes formels à résoudre. Entre la critique de type sociologique (marxiste) et la critique de type formaliste (ou structuraliste), il ne semblerait pas qu’il reste grand-chose à dire sur Eisenstein. Dans les deux cas, ce qu’on rejette comme une supposition impie, c’est que la vie privée de l’artiste ait pu avoir une incidence quelconque sur ses œuvres. Interprète exalté des aspirations sociales de son peuple, ou savant architecte de plans et de lignes, Eisenstein a traversé jusqu’à présent l’histoire de l’art aussi désincarné qu’Homère. Peu de gens, sans doute, ont pris la peine de lire ce qu’il disait au sujet de Pouchkine, et personne, en tout cas, ne s’est demandé si, en proposant d’expliquer le secret du poète par un rapprochement entre sa vie et son œuvre, Eisenstein ne se désignait pas lui-même comme un sujet possible pour une telle méthode d’interprétation. Tout de suite après avoir parlé de Pouchkine en ces termes, il ajoutait, c’est vrai : " On va dire : Freud ! Non, pas Freud. Vous avez raison d’affirmer que Freud est pour nous une province étrangère, lointaine, perdue ! L’unique ouvrage de Freud qui fut écrit avec vigueur et éclat parlait de Léonard. Mais, déjà dans ce livre, il s’embourbait dans l’érotisme, coupait la vie du créateur de la réalité. L’enlisement dans l’érotisme a perdu Freud. Quant à ses élèves, c’est la pauvreté impuissante, la corruption... Non, Freud n’a rien à voir ici. L’amour de Pouchkine n’a rien à voir avec l’érotisme. Cet amour fut la tragédie de cette vie qui marqua toute sa création. C’est ainsi que naquit le sujet unique qui passe dans toute son œuvre. " Laissons de côté ici la question de savoir si cette accusation de pansexualisme portée contre Freud est fondée ou non. De toute manière, une telle accusation (si courante encore aujourd’hui !) ne vise aucunement la psychobiographie et n’infirme pas la légitimité de cette méthode. La psychobiographie se distingue de la psychanalyse appliquée, en ce qu’elle recherche les mobiles inconscients de la création, tous les mobiles, sans prétendre qu’ils sont toujours d’ordre sexuel. Réduire une vie et une œuvre à ses déterminations sexuelles a peut-être été le tort de Freud (ou de ses trop hâtifs disciples). Le psychobiographe, lui, n’accorde qu’une place relative aux événements du sexe, dans une recherche plus générale et plus ambitieuse, qui ne vise à rien de moins qu’à mettre au jour l’histoire cachée de l’artiste. Les explications par la " psychologie " n’avaient pas bonne presse en U.R.S.S. Eisenstein, sur ce terrain-là, ne pouvait s’avancer qu’avec prudence. A Ilya Veissfeld, il confie encore qu’il voudrait écrire un livre sur Gogol. " Le thème de Gogol, c’est l’impossibilité de se marier. " Indication précieuse, quand il s’agira d’élucider le cas d’Eisenstein lui-même. Autre figure qui l’intrigue : Charlie Chaplin. Il a publié plusieurs articles sur Charlot, dont l’un, très long, intitulé Charlot-le-Kid, était destiné à une Histoire internationale du cinéma. On chercherait en vain dans cet éloge quasiment académique un effort pour découvrir " le sujet unique ", l’histoire cachée. Eisenstein se contente d’expliquer l’humour chaplinesque par l’absurdité inhumaine du système américain. Il est fort instructif de constater que dans ses écrits privés, il abandonne complètement cette position conventionnelle, et rattache le génie de Charlot aux obsessions secrètes de Chaplin. Entretien avec Veissfeld. " Chaplin. Toute sa vie, il a aimé la femme de Hearst. Ses multiples liaisons n’étaient que prétextes à procès, à pensions ruineuses qui obligeaient Chaplin à " se racheter ". Il change de femme (comme cela arrive) pour retrouver la seule, celle qui est semblable à son unique amour. De même Pouchkine qui chercha et, parmi des dizaines, découvrit Natalia Gontcharova qui ressemblait à la femme de Karamzine. Ces filles qui traversaient la vie de Chaplin, il voulait les oublier, les effacer, les rayer de sa mémoire. Et c’est ainsi que naquit Monsieur Verdoux. Il détruit toutes les femmes au nom d’une seule, de l’unique. " (Eisenstein avait rencontré Chaplin à Hollywood, et les deux hommes s’étaient liés d’amitié.) Lettre à Youri Tynianov (qui avait le premier émis l’hypothèse de la passion juvénile de Pouchkine pour Mme Karamzine). " Ma foi psychologique immédiate en votre hypothèse tient, bien entendu, à des bribes de souvenir de l’interprétation freudienne (assez possible) du donjuanisme comme recherche de l’Unique (ce n’est pas pour rien qu’il y a aussi un Don Juan dans l’œuvre de Pouchkine). Au demeurant, elle fut peut-être encore plus forte en raison d’un exemple concret, rencontré concrètement dans la vie de Chaplin. La biographie sentimentale de Chaplin, avec lequel j’ai été assez intimement lié, est telle précisément. C’est l’amour pour la seule et unique Marion Davies qui fut " donnée à un autre ", à Randolph Hearst (l’homme des journaux) - et cela même sans que fussent observées les conventions religieuses formelles ni les rites administratifs. Hearst est cette même Vater Imago, châtiant, que fut Karamzine, seulement sous des formes beaucoup plus terrifiantes et turbulentes, et qui écrasa presque à mort Chaplin à l’époque d’une de ses explosions amoureuses de " récidive " à l’égard de Marion Davies... Quoi qu’il en soit, la chose est curieuse : Randolph Hearst et Karamzine, Karamzine et Marion, Pouchkine-Chaplin. " Et plus loin, Eisenstein se déclare prêt à voir " ne serait-ce qu’une vérité partielle dans l’hypothèse théorique du professeur viennois, sur la poursuite d’un ersatz de l’aimée inaccessible... "

Le rapprochement entre les textes " officiels " sur Charlot et les écrits plus intimes suggère qu’Eisenstein, sans la condamnation portée en U.R.S.S. contre la psychanalyse, aurait donné une adhésion moins discrète à une méthode fondée sur la recherche des déterminations inconscientes.

L’Eisenstein marxiste et l’Eisenstein formaliste n’auraient pas caché si longtemps le troisième Eisenstein.


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