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Anton Tchekhov dit que l’Amour est une région bien intéressante : " Je suis épris de l’Amour ; j’y vivrais volontiers un an ou deux. Beauté, espace, liberté, douceur. La Suisse et la France n’ont jamais connu une telle liberté. Le dernier des déportés y respire plus librement qu’en Russie le premier des généraux... "
Hervé Prudon est l’auteur de plusieurs romans, notamment dans la collection Série Noire, chez Gallimard. Il a publié chez Grasset Les hommes s’en vont (1998) et Venise attendra (2000), coécrit avec Sylvie Péju. Son amour, mon enfance, un mammouth et trois citations ’aurai bientôt vingt ans, et très vite plus jamais vingt ans. Ni plus jamais d’enfance. J’appelle enfance la grâce d’être l’enfant de quelqu’un. Papa c’est quelqu’un, c’est quelque chose pour moi. C’est mon enfance. Mon possessif et enfance possédée. C’est Papa qui m’a dit d’écrire. Je suis possédé par Papa. C’est mon démon, mon dieu vivant, un chien qui ne vit plus sans moi. Moi je suis son enfant, ce qui me dispense d’autres qualités. Je suis son amour, sa plus noble vertu. Papa cite le poète indien Rabindranath Tagore : " Je ne l’aime pas parce qu’il est bon, mais parce qu’il est mon petit enfant. " Peu importe à Papa que je ne sois bon à rien, puisque la vie ne nous veut rien de bon. Papa dénigre tout, bousille tout, et renvoie dos à dos la vie, cette criminelle assassinée, et son complice, l’humanité ; rien ne trouve grâce à ses yeux, et je reste à ce jour la seule grâce qui lui ait été accordée. Je ne vaux rien, aux yeux du monde, mais Papa crève les yeux du monde parce que je suis son bien le plus précieux, à lui. Je suis son trésor de pirate. Je suis son amour exclusif. Cet amour est un monstre hypertrophié que je dois nourrir de ma chair et que le monde menace. On vit dans des cachettes, dans des niches, dans des plis, loin des yeux. Papa me protège et précède en tous lieux, en évitant les lieux publics. Quand Papa me montre le monde, je vois surtout le dos de Papa. Ce dos fait écran, c’est comme la télé. Je n’ai pas vu grand-chose du monde, jusqu’ici. Mais j’ai lu. Les grands auteurs savent tout mieux que Papa. Anton Tchekhov dit que l’Amour est une région bien intéressante : " Je suis épris de l’Amour ; j’y vivrais volontiers un an ou deux. Beauté, espace, liberté, douceur. La Suisse et la France n’ont jamais connu une telle liberté. Le dernier des déportés y respire plus librement qu’en Russie le premier des généraux... " Au pôle Nord cet été, j’ai vu un mammouth dans la glace. On l’appelle le mammouth Jarkov. Il est là depuis vingt mille ans et me demande ce que je vais faire dans la vie. Comme il ne comprend pas les langues vivantes, je cite Sénèque : " La partie de la vie que nous vivons est courte. Tout le reste n’est pas de la vie, c’est du temps. " Je n’ai rien vécu, je n’ai pas entamé ma partie de vie, je vais sur mes vingt ans. Tu ne vas nulle part sans moi, dit Papa. On rentre.
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