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Enfant maudit d’un siècle révolu, Platonov entre en dansant dans la Cour d’honneur. En juillet 2002, l’immense mur du Palais des papes s’illumine, et les lueurs de chaque fenêtre du monumental décor - qui se transforme en la demeure de la belle veuve Anna Petrovna - dessinent les ombres des invités à sa réception.
Il déambule, boit beaucoup, raconte la mort de son père, homme riche puis ruiné, abandonné de tous. Jeune instituteur de province, séducteur insatisfait, ange concupiscent ou diable concupiscible, Platonov porte en lui le destin tragique des rois. Être complexe, fragmentaire, divisé, aussi brouillon, inachevé, fascinant et multiple que l’œuvre qui le contient. Le regard des autres est tout à la fois sa torture et ce qui le tient droit. Construit, constitué par le groupe, il tente de s’en extraire, de s’affirmer hors de lui, éprouve quelques cœurs, détruit quelques êtres, piétine les fantômes et vit, éperdu. Jusqu’à souffrir le pire des maux, vivre avec soi. "J’ai mal à Platonov", dit-il. "Les spectacles sont pour moi des outils, explique le metteur en scène Éric Lacascade. Ils me permettent d’essayer de recréer l’utopie d’un groupe, une harmonie que j’ai bien du mal à trouver dans l’existence, avec moi-même. Platonov raconte justement l’histoire d’un individu nourri et créé par le groupe. Il s’en sauve, il en sort parfois pour affirmer son individualité, mais le groupe le récupère. Le groupe est fait d’individualités fortes mais solidaires. Cette recherche d’équilibre me plaît à la fois artistiquement et politiquement...". Directeur depuis 1997 du Centre dramatique national de Normandie à Caen, Éric Lacascade relève la gageure, et choisit d’empoigner Platonov après avoir dirigé avec succès Ivanov, Cercle de famille pour trois sœurs et la Mouette au Festival d’Avignon en 2000. Éric Lacascade veut ensuite s’atteler à l’œuvre première, la pierre initiale. Introduire la pièce la plus insaisissable du maître du théâtre intimiste russe dans la Cour d’honneur semble une hérésie. Mais Platonov accorde les louanges de la presse et l’enthousiasme du public. Écrite par un poète adolescent, Platonov est l’œuvre bouillonnante et le livre brouillonnant, sublime monstre littéraire d’un enfant qui ignore tout encore de son génie. Pris entre ses études de médecine et la surveillance que la police exerce sur lui du fait de ses amitiés avec des révolutionnaires actifs, Tchekhov fête ses vingt ans en écrivant dans la fièvre une pièce fleuve, sans titre. Refusé par l’actrice à qui il le dédie, le manuscrit disparaît de la vie du jeune homme puis de celle de l’auteur universellement consacré. Redécouvert dans les brouillons d’œuvres, Platonov, "le petit Platon", s’abîme dans l’Europe ravagée de l’après-seconde guerre mondiale. En France, de Jean Vilar qui y met en scène Maria Casarès en 1956, à Patrice Chéreau qui en fait l’argument de son film Hôtel de France en 1987, l’instituteur fébrile, égaré dans sa propre vie comme dans un cauchemar, devient l’âme errante d’une destinée où l’échec est une délectation et une petite mort. Le brûlot jeté par Tchekhov résonne d’un credo que porte toute jeunesse dans une société délétère où tout la nie, la compromet, la défait de son identité et de sa force créatrice. Entre révolution et résignation, conquête du monde et du sens de la vie, Tchekhov distille et brûle l’essence de son travail dans une pièce unique, commencement, matrice et tombeau de son théâtre. Également adaptateur et interprète du personnage d’Ossip, Éric Lacascade façonne des personnages charnels, enflammés, travaille à l’incandescence d’une œuvre mouvementée, à mille lieues d’un folklore désuet peuplé de samovars, de brume vague et d’ennui. Metteur en scène généreux, il allie les mouvements intenses, la grâce énergique de la danse et la ferveur d’un phrasé incarné. Après une année de tournée, Éric Lacascade et ses comédiens ont, pour cette reprise dans la Cour d’honneur, reconsidéré les lumières, l’espace et l’adaptation même de la pièce, veillant notamment à explorer de nouvelles zones de mystères. Mise en scène, Éric Lacascade Festival d’Avignon 2003
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