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On le sait, l’URSS de Staline a développé, sous couvert de la dictature du prolétariat, une forme d’oppression sociale inédite, basée sur la classification et l’exclusion des individus, recourant notamment à l’internement dans des camps de travail forcé. Le Goulag, immortalisé par la plume de Soljenitsyne, est devenu à jamais le symbole de l’empire des camps soviétiques, de la négation de l’homme et de l’arbitraire.
’Qui ne travaille pas ne mange pas’ - Revue de théâtre au Goulag Conception, mise en scène Judith Depaule :
Avec : Production Mabel Octobre / Espace André Malraux scène nationale de Chambéry et de la Savoie / Maison de la Culture d’Amiens / Ferme du Buisson scène nationale de Marne-La-Vallée. Ce projet a bénéficié d’une bourse Villa Médicis Hors Les Murs en Russie et de l’aide de l’Ambassade de France à Moscou. Durée du spectacle 1 H 30 Horaires : du mercredi au samedi à 20H30, mardi à 19H30 et dimanche à 16H Tarif moins de 25 ans : 9 euros Théâtre de gennevilliers centre dramatique national La matière Au cours de plusieurs voyages en Russie, j’ai pu me rendre sur d’exlieux de détention (Magadan, Vorkouta, Pétchora, Inta) et recueillir de nombreux documents sur le théâtre au Goulag (archives papier, audio et vidéo, dont près de 40 interviews d’anciens détenus ayant pratiqué ou fréquenté le théâtre dans les camps staliniens). Comment aborder la représentation d’un monde révolu dans un monde actuel où le devoir de mémoire heurte nos consciences ? Sans me plier à l’exercice de la reconstitution historique, il m’importe de donner à voir et à entendre des visions du théâtre au Goulag en ne partant que de faits véridiques mais en les inscrivant dans un temps présent. S’interroger sur un thème grave tel que le Théâtre au Goulag, pose la question essentielle de « comment se fait-il que l’art suive l’évolution de l’humanité, comment se fait-il que même dans les situations les plus extrêmes, sous des régimes totalitaires, dans les terribles conditions d’enfermement du Goulag, l’art puisse exister et, à sa façon, prospérer ? ». On le sait, l’URSS de Staline a développé, sous couvert de la dictature du prolétariat, une forme d’oppression sociale inédite, basée sur la classification et l’exclusion des individus, recourant notamment à l’internement dans des camps de travail forcé. Le Goulag, immortalisé par la plume de Soljenitsyne, est devenu à jamais le symbole de l’empire des camps soviétiques, de la négation de l’homme et de l’arbitraire. Mais si le Goulag a force de métaphore dans la littérature mondiale pour désigner l’univers concentrationnaire, en russe les cinq lettres GULAG forment initialement un acronyme qui désigne la Direction générale des camps, administration rattachée respectivement à la police politique, au commissariat du peuple à l’Intérieur et au ministère de l’Intérieur (OGPU, NKVD, MVD) de 1930 à 1960. Cette administration se circonscrit à un vaste système répressif, dont la particularité est de gérer des camps de travail correctif, instrument punitif et économique. « une entreprise d’orthopédie sociale » Le théâtre au Goulag n’a pas été une expérience isolée ni un acte de résistance. Fort de mener une « entreprise d’orthopédie sociale », pour reprendre l’expression de Michel Foucault, par volonté de contrôle des âmes et des corps, le gouvernement soviétique s’interrogea sur un programme de rééducation en relation étroite avec la productivité des détenus. Le programme avait l’ambition de faire de chaque prisonnier un animal social, de le transformer en bon citoyen soviétique. Il envisageait toutes sortes d’activités de masse dont le théâtre. En effet, le théâtre pouvait s’organiser à peu près partout et avec à peu près n’importe qui, pourvu que le processus de la représentation soit respecté et qu’un semblant de contrôle idéologique soit exercé. Le programme a favorisé la naissance d’une véritable activité théâtrale qui selon l’alchimie du lieu, de l’époque et des détenus en présence, a pris des formes variées, d’un art pauvre et amateur à d’importantes manifestations dans les règles classiques de l’art. « Sourire de captivité », le théâtre au Goulag entrouvre un espace de liberté. Il devient le lieu de la vraie vie. La réalité est vécue comme un artifice et l’artifice devient réalité. Le théâtre devient un lieu de résistance mnésique, où le temps de la représentation, acteurs comme spectateurs peuvent se sentir encore des hommes. Judith Depaule Notes de mises en scène La matière du spectacle se composera de bribes de vie, de documents officiels, d’extraits du répertoire joué dans les camps, de situations consignées par la mémoire des témoins, de reprises des musiques de l’époque et de musiques originales, de vidéos documentaires et spécifiquement créées pour l’occasion. La pièce résulte de l’agencement syntaxique de tous ces matériaux. Tous les documents sont inédits et traduits pour la première fois en français. La musique occupe une grande place dans le théâtre au Goulag qui a recours le plus souvent à la notion de « concert » pour désigner toute forme de spectacles où les genres sont mêlés. Pour le spectacle, les musiciens (Fred Costa, Frédéric Minière) font un travail de composition qui se réfère au répertoire de l’époque (opérette soviétique, chants patriotiques, folklore du Goulag, jazz, musique classique soviétique) tout en intégrant des sonorités contemporaines. La musique, conducteur du spectacle, est omniprésente. Tous les interprètes chantent ou jouent d’un instrument, formant ainsi un orchestre à géométrie variable allant jusqu’au nonet. La revue (programme de variété), composée d’une succession de numéros ou saynètes selon les compétences des artistes en présence, était la forme la plus répandue du théâtre au Goulag. Sur ce principe, le spectacle agence une suite de tableaux thématiques (moments clé du théâtre au Goulag : audition, fabrication d’un spectacle, composition de couplets d’agit-prop, rapports avec la direction, représentation, statut de l’actrice au Goulag...) et des séquences de témoignages. Ces tableaux traversent différents styles de théâtre, usant de formes très simples comme de technologies contemporaines (numériques). La place du spectateur est pensée comme celle du légataire d’une réalité historique passée au travers du prisme de la mémoire. A ces fins, la scénographie (Chloé Fabre) recourt au travail de l’image (Olivier Heinry) recyclant l’art révolutionnaire et le réalisme soviétique et détournant les codes de propagande : création d’un « faux film » de propagande d’animation sur l’histoire du Goulag, portraits vivants vidéo d’anciens détenus ayant pratiqué le théâtre au goulag, reconstitutions mnésiques de souvenirs de captivité, images fantômes vidéo d’actualités de l’époque, détournement d’images d’Epinal soviétiques (on fait « pleurer les icônes »), peinture et photos monumentales, slogans affichés et projetés... Chante rabot, frappe maille La brigade de Liocha Koulik Celle du détenu Badzian Dans la brigade il n’y a pas Avec mon grand ami Platon Vouplets écrits au camp de Sevourallag en 1941 Goulag, le peuple des zeks - Musée d’ethnographie, Annexe de Conches jusqu’au 02-01-2005. Pourquoi parler - ici et maintenant - du Goulag ? Parce que le Goulag où croupissaient chaque année, entre 1937 et 1953, près de deux millions de détenus n’est pas un chapitre clos. Ce terrible archipel carcéral appartient à une histoire universelle de la cruauté humaine. Le XXème siècle enseigne que l’arbitraire et l’escalade disciplinaire peuvent surgir dans les sociétés modernes quand les libertés individuelles sont bradées au profit de motifs idéologiques et sécuritaires. C’est pourquoi le Goulag nous concerne. Sa connaissance ouvre une perspective majeure sur la fracture idéologique d’hier, partiellement occultée par les bouleversements géopolitiques des quinze dernières années. L’approche ethnographique pose un regard sur le fonctionnement interne de ce « peuple des zeks » et tente de comprendre comment, au milieu d’une nature hostile et malgré une répression impitoyable, des hommes et des femmes ont pu survivre.
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